Vers la fin des années 90, le virus du courtage m'avait déjà phagocyté l'âme.

 

Je venais de vendre un chalet à V., mon celte préféré, dont la collection de Patek ferait pâlir les afficionados de la haute horlogerie.

Mon dublinois, bien que résidant en Suisse, était le plus frénétique des globetrotters qu'il m'ait été donné de croiser. Bourreau de travail de nature, il ne cessait de se déplacer entre Genève, Dublin, Londres, New York et Hong Kong.

De ce fait, il n'avait ni le temps ni la patience de suivre les travaux de de rénovation de sa nouvelle acquisition. Mission qu'il m'a confiée alors que nous nous connaissions à peine.

"Les meubles arriveront dans trois mois", m'a-t-il juste précisé avant de me quitter.

Infiniment touché par sa confiance presqu'aveugle, je me jurai alors de le satisfaire ad libitum.

La tâche étant conséquente (592 m2 plus une piscine bordée de grandes baies vitrées et dont le bassin avait des dimensions indécentes pour une résidence de vacances), je m'y attelai immédiatement et contactai plusieurs entreprises.

Parallèlement, je m'organisai pour le tenir toujours informé par email au gré de ses pérégrinations planétaires.

 

Déjà rompu aux nouvelles technologies de par ma formation d'analyste programmeur, j'acquis pour ce faire -et à prix d'or- l'adéquat outil, le merveilleux Sony Digital Mavica MVC-FD73, un genre de "parpaing" révolutionnaire, ancêtre des appareils photo numériques.

Mélange improbable entre un compteur Geiger des années 60 et un grille-pain, cet appareil high-tech pouvait accueillir, en son flan, une disquette 3.5 (floppy disk) dans un ingénieux et escamotable compartiment réservé à cet effet.

Son aspect s'apparentait à un presse-papiers; quant à ses performances, elles me laissaient pantois : résolution maximum de 1,3Mo pour un floppy disk de 1.4Mo.

Pour les générations Z et Alpha, c'était une disquette que les initiés utilisaient pour transporter leurs données. L'ancêtre de la clé usb en quelque sorte.

Aujourd'hui il faudrait plus de 22 000 disquettes pour remplir une clé USB de 16Go.

A 20 grammes la disquette, cela représente un total de 440 kg.

Je vous passe la résolution misérable des photos et vous fais volontiers grâce de la qualité médiocre de la vidéo de 60 secondes qui remplissait une disquette en ultra basse résolution. De nos jours, on parlerait de carrelage plutôt que de pixellisation. 

 

Passons et revenons à nos ovins.

J'allais donc tous les jours, armé de ma caméra futuriste, au chalet et remplissait une vingtaine de disquettes que, à peine rentré à l'agence, je téléchargeais frénétiquement sur mon PC dernier cri.

Une vraie machine de guerre, un IBM 386 DX ronronnant à 32 bits, 33 MHz, 32Mo de RAM et un disque dur dont la capacité extraordinaire de 200Mo faisait pâlir tous mes clients (soit pas loin de 10 000 fais moins puissant qu'une Nintendo Switch Lite).

J'envoyais tous les soirs à mon Irlandais, quelques photos accompagnées de mon rapport journalier relatant les dernières évolutions du chantier. 

 

Oui, ma révolution-digitale-à-moi a débuté il y a un quart de siècle. C'était l'hiver 1999-2000.

 

Le bug informatique de l'an 2000 avait fait un flop.

La tempête Lothar avait dévasté l'Europe de l'Ouest. Evolène comptait ses morts suite à une terrible avalanche.

La Serbie et le Kosovo pansaient leurs plaies d'une guerre aussi absurde que meurtrière.

American Beauty raflait 5 Oscars.

Matrix, 4.

Britney Spears et son "Baby one more time" explosaient les charts tandis qu'en France, Larusso caracolait en tête avec son "Tu m'oublieras" avant de sombrer dans l'anonymat.

A Crans-Montana, les conditions d'enneigement étaient si extraordinaires que j'ai skié 72 jours.

 

Etre un courtier en 2025 et ne pas avoir compris que la révolution digitale est essentielle dans l'immobilier, c'est être dépassé.

Ne pas utiliser tous les outils numériques à notre disposition, c'est être un has been.

 

Tout comme penser que l'intelligence artificielle va t'écrire des posts à la carte, truffés d'emojis et autres émoticônes, c'est déjà naviguer dans l'obsolescence. 

 

Sois créatif, courtier, que diable !

Laisse tomber ton smartphone dernière génération pour photographier tes biens. Utilise la technologie HDR ou/et la visite virtuelle. 

Ne flatte pas ta paresse en ne t'appuyant que sur Chat GPT et autre béquille numérique.

Utilise-les mais n'en abuse pas. 

L'IA reste un outil et son Dieu, c'est toi. 

 

Je toucherai l'AVS à la fin de l'année, je ne suis pas plus malin qu'un autre mais, professionnellement, j'ai, sans vanité, toujours vécu dans l'ère de mon temps.

 

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